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Franck Abed
Joseph de Maistre appartient à cette longue liste d’écrivains prestigieux que certains se contentent de citer sans pour autant les lire. Depuis que j’étudie la pensée maistrienne et la Révolution dite française, j’avoue regretter que son œuvre ne soit pas plus connue, méditée et promue (1). Ses réflexions passionnantes et instructives consacrées à la théocratie pontificale, la monarchie et la philosophie m’enchantent toujours. Elles ne permettent pas d’oublier que je vis dans une époque désenchantée, mais elles m’offrent la possibilité de comprendre pour quelles raisons nous en sommes arrivés là et comment nous pourrions en sortir.
Maistre, au crépuscule de l’antique société monarchique, apposa son large sceau sur la pensée du XIXe siècle. Il influença de nombreux auteurs, penseurs, écrivains et philosophes par ses propositions franches et solidement charpentées (2). Je me place volontiers dans ce long chapelet d’intellectuels qui reconnaissent en Maistre un maître et un prophète politique éminemment respectable.
Ses Considérations sur la France, rédigées en 1797, confirment qu’il comprit très vite la nocivité des Lumières et des idées dites « nouvelles ». Après la lecture de cet essai enthousiasmant et instructif, il me paraît impossible de lui dénier la qualité de visionnaire. Il fut parmi les premiers à combattre le modernisme politique que nous subissons depuis très longtemps. Il parvint à démontrer les conséquences de cette idéologie funeste des Droits de l’Homme tout en laminant les soubassements prétendument philosophiques qui ordonnaient le tout.
Maistre fut réellement un infatigable bourreau de l’esprit d’un XVIIIe siècle qualifié, de manière pédante, de « lumineux ». En réalité, le Siècle dit des Lumières accoucha d’une société sombre voire terrifiante, bien analysée par Maistre. La lecture de cette somme intellectuelle ne peut être motivée par un plaisir dilettante, tant elle se montre exigeante et décapante pour tout esprit non formé à la prose maistrienne. Effectivement, ses propositions heurteront les sensibles, les romantiques, et tous ceux qui ne savent pas ou plus penser. Notre époque ne produit plus de grands esprits, raison pour laquelle Maistre ne doit jamais être regardé comme une curiosité intellectuelle ou une bête de foire…
Maistre personnifie l’antimoderne par excellence. C’est probablement pour cette raison que ses livres ne se diffusent pas plus largement. Pour être concret, il s’impose comme l’un des meilleurs critiques anthropologique et théologique de ce faux idéal émancipateur des Lumières. Maistre était chrétien. Il savait donc que tous les membres de l’espèce humaine étaient déchus par le péché originel, là où les Modernes disaient, à la suite du promeneur solitaire qui rêvait tout haut, que « l’homme était bon par nature ».
A vouloir nier des évidences, les promoteurs des Lumières ont commis et commettent encore de grands crimes intellectuels et physiques aux conséquences incalculables (3). Ils voulurent canaliser ou détruire les effets du péché originel par la fondation d’un nouvel ordre politique justifié par une morale philosophique humaniste et rationaliste. La civilisation, à bien y réfléchir, n’est rien d’autre que le dressage de l’Homme, au sens de rendre droit. Si les créatures humaines ne sont pas contraintes par un ordre extérieur à leurs volontés, la barbarie pointe toujours son nez. L’homme n’est nullement le « bon sauvage » que Rousseau fantasme dans son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes. L’Histoire de l’Humanité atteste que nous sommes animés par divers appétits, notamment la volonté de puissance et de conquêtes.
Pour bâtir une société juste, saine et équilibrée, il demeure vital de comprendre l’Homme. Or, Maistre professait pertinemment qu’Adam et Eve avaient existé. Il se situait à l’opposé des fariboles des auteurs de l’Encyclopédie qui voyaient les écrits bibliques comme des affabulations. Maistre fut toujours lucide sur les Hommes et les événements, ainsi que sur la littérature passée et contemporaine. Raison pour laquelle, il combattit toute sa vie les idéologies rousseauiste et voltairienne. Il considérait qu'elles avaient établi les conditions violentes, antireligieuses et contre-nature que la Révolution incarna avec une brutalité sans égal (4).